Trente années à la barre
2000-10-01
Depuis trois décennies le Conseil canadien des normes (CCN) fait, contre vents et marées, naviguer le Système national de normes. Beaucoup de choses ont changé depuis sa mise à l’eau, tant sur le plan des passagers et de la cargaison que sur celui des ports d’escale. Si le navire a connu plusieurs radoubs, le CCN, tenant le gouvernail de main ferme, a su le garder à flot et maintenir le cap.
Dans le présent article, nous relaterons ce long périple. Nous extrairons d’abord quelques faits saillants du journal de bord du CCN, du lancement du Conseil à nos jours. Nous examinerons les changements de cargaison du navire – les préoccupations et les activités qu’il a dans sa cale depuis le début, celles qu’il a débarquées il y a longtemps, et quelquesunes qu’on vient de hisser à bord.
Depuis le ber
Le CCN a pris la mer en octobre 1970, après les longs préparatifs d’usage. La normalisation, telle que nous la définissons aujourd’hui, prit naissance en 1901 avec l’établissement du Great Britain’s Engineering Standards Committee. Ce comité élaborait les normes applicables aux principaux domaines d’ingénierie de l’époque, tels la construction de ponts, le transport ferroviaire et la construction navale.
En 1919, le Canada emboîta le pas à la Grande-Bretagne, avec la création de la Canadian Engineering Standards Association, rebaptisée plus tard « Association canadienne de normalisation » (ACNOR), et aujourd’hui devenue « CSA International ».
En plus d’élaborer des normes pour le milieu industriel canadien, cette association représentait le Canada au sein de la Commission électrotechnique internationale (la CEI, fondée en 1906) et, plus tard, de l’Organisation internationale de normalisation (l’ISO, fondée en 1947).
En 1934, le gouvernement fédéral établit le Comité des normes d’achat du gouvernement du Canada, rebaptisé « Office des normes du gouvernement canadien » pour devenir par la suite « Office des normes générales du Canada» (ONGC).
Au début des années 1950, ces deux organismes avaient déjà élaboré plusieurs milliers de normes canadiennes. Malgré ce succès, certains observateurs se demandaient s’il ne serait pas préférable pour le Canada de n’avoir qu’un seul organisme national de normalisation.
En 1964, l’ACNOR demanda au gouvernement fédéral de doubler la subvention accordée pour participer aux travaux de normalisation internationale, gouvernement qui préféra commander une étude détaillée des activités de normalisation au Canada.
Il devint vite évident que le pays avait besoin d’un organisme unique capable de régler les divers problèmes relevés dans cette étude :
- Aucun organisme national n’avait de mandat de coordination ou de planification à long terme.
- Ni le gouvernement ni l’industrie n’apportaient les soutiens technique, financier et administratif nécessaires à la normalisation.
- Contrairement à la plupart de ses partenaires commerciaux, le Canada ne disposait d’aucun mécanisme d’établissement de normes nationales.
- Les groupes qui s’intéressaient à la normalisation, en particulier les consommateurs, n’avaient pas toujours voix au chapitre dans le processus de normalisation.
- La participation du Canada aux travaux de normalisation internationale était insuffisante.
- Le Canada se fiait aveuglément aux normes étatsuniennes, européennes et internationales, et devait décider d’un moyen efficace de les appliquer.
- La normalisation devenait nécessaire pour atteindre des objectifs économiques tels que l’accès aux marchés internationaux.
De l’avis général, la plupart des éléments de solution à ces problèmes existaient déjà, notamment au sein des divers organismes d’élaboration des normes, de certification ou d’essais.
Il ne restait donc plus qu’à coordonner les travaux. Des représentants fédéraux entreprirent des discussions avec l’ACNOR, les gouvernements provinciaux et l’industrie, en vue d’établir la structure de l’éventuel Conseil canadien des normes. Le projet de loi C-163, intitulé Loi sur le Conseil canadien des normes, fut déposé à la Chambre des communes en décembre 1969 et la Loi fut sanctionnée en octobre, l’année suivante.
L’équipage
La Loi prévoyait la constitution d’un Conseil composé d’au plus 57 membres, dont six représentants du gouvernement fédéral et dix représentants des gouvernements provinciaux, les autres membres provenant du secteur privé. Originaires de partout au Canada et issus de tous les secteurs de l’économie et des deux groupes linguistiques officiels, ces membres devaient représenter un large éventail de groupes s’intéressant à la normalisation.
Les divers organismes furent invités à présenter des candidats, notamment des organismes de normalisation, des organismes de sécurité publique, des associations industrielles, des groupes de consommateurs, des organisations syndicales et le milieu de l’enseignement.
Un Conseil de 55 membres fut ainsi constitué et tint sa première réunion en juillet 1971. Il s’attela presque aussitôt à l’établissement de la structure du Système national de normes (SNN).
Les passagers
Les organismes d’élaboration de normes (OEN) furent les premiers passagers à embarquer dans le SNN. L’élaboration des critères d’accréditation se révéla une tâche délicate, car les organismes dont le CCN devait examiner attentivement le travail pour approuver son processus, le faisaient déjà tous. Ceux-ci, conscients de l’importance des travaux du CCN, lui apportèrent pourtant leur soutien et leur collaboration.
Les critères applicables aux OEN furent approuvés en janvier 1973. En juin de la même année, le SNN mit officiellement les voiles en accréditant l’ACNOR, l’ONGC, l’Association canadienne du gaz (ACG) et les Laboratoires des assureurs du Canada (ULC). Quant au Bureau de normalisation du Québec (BNQ), il fut accrédité l’année suivante.
En sixième place vint l’Association des industries électroniques du Canada (AIEC), accréditée en 1975, dont l’accréditation fut annulée peu après lorsqu’elle s’affilia à une organisation plus importante de l’industrie.
Seul autre changement important dans l’escadre des OEN : depuis 1997, c’est la CSA qui élabore les normes de l’ACG.
Le CCN entreprit également de coordonner les activités des OEN, qui jusqu’alors avaient travaillé isolément à l’élaboration des normes sollicitées par leurs groupements ou clients respectifs. Ensemble, le CCN et les OEN dressèrent la liste des domaines de compétence dont chaque organisme serait principalement responsable, réduisant ainsi le risque de chevauchements tout en favorisant une meilleure utilisation des maigres ressources disponibles en matière de normalisation.
Les bagages
Les OEN embarquèrent munis, comme les passagers d’un paquebot de leur malle, d’un bagage constitué de plusieurs milliers de normes élaborées au fil des ans. Le CCN dut alors fixer les critères régissant l’approbation, à titre de Norme nationale du Canada, de chacune des normes existantes et futures.
Ces critères furent adoptés en mai 1972. Un an plus tard, le CCN approuvait les deux premières Normes nationales du Canada, soumises par l’ACNOR : CAN-3-001-01-73, soit Le système international d’unités (SI), et CAN-3-001-02-73, soit le Guide d’utilisation du système métrique.
On avait prévu que les OEN soumettraient ainsi pour approbation la plupart de leurs normes existantes. Ce processus fut cependant très lent. Dix ans après l’approbation des deux premières Normes nationales du Canada, seules 382 des quelque 5 000 normes existantes avaient obtenu ce statut, une fois révisées et approuvées.
Mais le navire, le vent en poupe, rattrapa vite ce retard. Les normes non approuvées furent révisées, intégrées à d’autres normes ou abolies. De 1983 à 1989, le CCN doubla sa vitesse de croisière, si bien que la millième Norme nationale du Canada fut approuvée en 1989.
De nouveaux passagers
Une fois les OEN bien installés à bord, le CCN prêta attention à une autre catégorie de passagers du SNN : les organismes responsables de la conformité aux normes.
C’est en 1972 que débuta l’élaboration des critères d’accréditation applicables aux organismes de certification et aux laboratoires d’essais. Le CCN était bien décidé à fouiller la question et à s’arranger pour que les critères, la procédure et l’application des programmes d’accréditation conviennent à toutes les parties intéressées, notamment aux OEN, aux organismes de certification et d’essais et à leurs clients, aux organismes de réglementation et aux consommateurs.
Mieux valait donc agir lentement mais sûrement. Les critères applicables aux organismes de certification ne prirent leur forme définitive qu’en 1977, et Services Professionnels Warnock Hersey Ltée fut, en 1980, le premier organisme de certification à recevoir son accréditation.
Quant aux organismes d’essais, le CCN décida en 1979 qu’il y avait lieu de mettre d’abord sur pied un projet pilote. Ce projet permit de constater l’évidence : on réclamait l’élaboration d’un programme d’accréditation. Vingt-deux laboratoires se portèrent volontaires, dont quatre furent choisis pour y participer. Finalement, le CCN accrédita en 1981 ses deux premiers organismes d’essais : les Laboratoires d’essais et d’évaluation des composants de la Northern Telecom, et le Département du textile, des vêtements et de la chaussure de l’Ontario Research Foundation.
La liste des passagers du SNN s’allongeait. N’y figuraient pas que des organismes accrédités. En effet, on jeta officiellement, en 1977, un pont pour relier le SNN et les comités du Conseil national de recherches du Canada (CNRC) responsables des codes nationaux du bâtiment et de la prévention des incendies. Selon les ententes conclues alors, les codes nationaux reconnaîtraient désormais les normes et les services d’évaluation de la conformité du SNN en y faisant référence.
Le CNRC fut aussi le premier associé du CCN en matière d’accréditation de laboratoires. En 1988, les deux organismes décidèrent en effet d’unir leurs efforts dans le but d’établir un programme national d’accréditation pour les laboratoires d’étalonnage. Cette association ouvrit la voie à l’établissement de divers programmes conjoints similaires qui, au cours des années 1990, élargirent la portée du programme d’accréditation des laboratoires tout en incitant bon nombre d’associations industrielles et d’organismes de réglementation à monter à bord du SNN.
Les changements de cap
Au cours de son périple, le CCN a toujours su contrôler sa position, moderniser ses cartes et changer de cap au moment opportun. C’est en 1975 que le CCN rédigea son premier plan d’action à long terme, précurseur des plans stratégiques actuels. Ce plan fut par la suite révisé et mis à jour, puis périodiquement remplacé par d’autres.
Au fil des ans, les relations du navire avec son port d’attache, le gouvernement fédéral, ont également changé. Au tout début, le CCN rendait compte de ses activités au Parlement par l’intermédiaire du ministre de l’Industrie et du Commerce. En 1982, cette responsabilité échut à Consommation et Affaires commerciales Canada, ce qui suscita quelque inquiétude chez les intervenants du domaine de la normalisation, qui y virent une volonté d’élargir le rôle de réglementation du CCN. Mais ce ne fut pas le cas. En 1994, le CCN retourna dans le giron d’Industrie Canada.
Lors de sa création en 1970, le CCN a tout fait pour proclamer son autonomie face au gouvernement fédéral, autant dans ses politiques que dans son fonctionnement. La Loi sur le Conseil canadien des normes stipulait, par exemple, expressément qu’il n’était pas mandataire de la Couronne et que ses employés ne faisaient pas partie de la Fonction publique.
En septembre 1984, des modifications législatives changèrent quelque peu le statut du CCN, qui devint une société d’État. Les intervenants du domaine de la normalisation exprimèrent à nouveau leur crainte de voir le CCN perdre ainsi de son autonomie. Mais ces modifications législatives consolidaient l’autonomie du CCN dans divers domaines, telle la promotion de la normalisation.
Le début des réductions budgétaires du gouvernement fédéral imposa au CCN un autre changement de cap important au milieu des années 1980.
Comme les autres organismes subventionnés, il dut alors réévaluer ses priorités, annuler ou suspendre certains programmes, licencier des employés, et trouver d’autres sources de financement.
Un des changements les plus notables fut la fermeture de son bureau régional de Toronto, qui s’occupait du programme de normalisation internationale et du service de vente des normes, lesquels furent rapatriés à son siège social d’Ottawa.
Le CCN dut aussi déterminer quels programmes pourraient le mieux s’autofinancer. En dépit de la réduction de ses subventions, il put maintenir le niveau de son programme de normalisation internationale grâce à l’augmentation de l’aide financière provenant de l’industrie.
Quant au programme de vente des normes, il a toujours été autosuffisant. Les programmes d’accréditation, alors bien établis et en plein essor, étaient tels qu’on pouvait recouvrer intégralement, sinon partiellement, leurs coûts. L’augmentation pour certains organismes accrédités des frais occasionnés obligea cependant le CCN à agir progressivement pour ne pas rebuter les clients. C’est en 1985 que s’y est mis le CCN et ce n’est qu’aujourd’hui qu’il se rappproche de l’objectif visé : le recouvrement intégral des coûts.
Le CCN amorça en 1994 le changement de cap le plus important de son existence : il entreprit une importante consultation nationale sur les moyens possibles d’améliorer son mandat et sa structure. Y ont participé près de 3 000 représentants du gouvernement, de l’industrie, des organismes de normalisation, des groupes de consommateurs et des organisations environnementales et syndicales.
Furent ensuite apportées à Loi sur le Conseil canadien des normes en novembre 1996 d’importantes modifications, à savoir la réduction de 57 à 15 de l’effectif de l’équipage du Conseil. Le mandat du CCN a été élargi : on y a, en effet, éliminé les dispositions qui le confinaient à des champs particuliers de compétence, pour lui permettre d’explorer de nouveaux domaines tels que l’environnement, la technologie de l’information et le secteur des services. Le CCN se vit alors attribuer de nouveaux pouvoirs et de nouveaux objectifs liés au rôle des normes dans le commerce.
Avec son nouvel équipage et mandaté de neuf, le CCN partit derechef sonder de nouveaux horizons et recruta des intervenants de partout au pays pour l’aider à tracer sa nouvelle route, celle de la Stratégie canadienne de normalisation.
Lancée officiellement en mars 2000, cette stratégie est un plan d’action national devant servir de guide pour aborder les difficultés majeures qui surviendront au Canada dans le domaine de la normalisation nationale et internationale. Elle a comme objectifs de renforcer le Système national de normes, de garantir l’expression des points de vue de tous les intervenants du domaine de la normalisation et de mettre l’accent sur l’influence du Canada au sein des forums régionaux et internationaux de normalisation.
La cargaison
Ces changements de cap exigeaient parfois un changement de cargaison. À titre d’exemple, l’une des préoccupations constantes principales du CCN, au cours de ses dix premières années d’existence, fut le passage, au Canada, du système de mesures impériales au système métrique (SI). Il a été chargé de coordonner la conversion des milliers de normes existantes en unités métriques, un projet d’une durée de 12 ans qui avait atteint sa vitesse de croisière lorsque le Canada décida d’y mettre fin.
Il reste des traces de ce travail colossal, puisque la plupart des normes comportent désormais des unités métriques, ce qui permet au Canada de faire affaire avec les pays qui utilisent principalement le système métrique. Les critères relatifs aux Normes nationales du Canada en portent aussi la marque, puisqu’ils permettent d’utiliser, pour élaborer les normes, l’un ou l’autre des systèmes, accordant toutefois la préférence au système métrique.
Autour du monde
Le rôle du CCN à titre de coordonnateur de la participation canadienne aux travaux de l’ISO et de la CEI est toujours lié à une grande partie de sa cargaison. Membre de longue date de ces deux organisations, le Canada n’y était cependant pas, dans les années 1960, considéré comme un important collaborateur. Voici d’ailleurs un extrait d’un discours prononcé par le président du Comité national du Canada de l’ISO dans le cadre de la douzième séance de la British Standards Conference, tenue en 1966 :
Je dois malheureusement admettre, bien que j’en sois évidemment gêné, que la participation du Canada aux travaux de l’ISO n’a aucunement, jusqu’ici, reflété le fait qu’il compte parmi les plus grands pays commerçants du monde. Je crois que le Canada a su, à quelques reprises, apporter sa contribution dans certains domaines techniques. [...] Mais dans l’ensemble, une mélioration substantielle et immédiate de cette situation s’impose. (trad. libre)
Avec la création du CCN, le Canada fut considéré tout autrement au sein de l’ISO. En effet, il fut, moins de deux ans après, nommé membre du Conseil de l’ISO pour un mandat de trois ans, et fut, quelques années plus tard, appelé de nouveau à y siéger, et y remplit plusieurs mandats successifs.
Pour la première fois, des citoyens canadiens jouèrent des rôles de premier plan au sein de l’ISO et de la CEI. En 1973, John Kean fut nommé membre du comité des politiques en matière de certification. Plus tard, les postes de vice-présidents de l’ISO et de la CEI furent confiés à des Canadiens. Enfin, le Canadien Roy Phillips accéda en 1988 à la présidence de l’ISO.
Depuis la création du CCN, le Canada est progressivement devenu membre d’un nombre croissant de comités techniques et de sous-comités et l’on compte de plus en plus de Canadiens prenant part aux travaux de normalisation internationale.
Le Canada fait aussi figure de chef de file dans les travaux d’ordre technique. Le nombre de sous-comités et de groupes de travail internationaux desquels il assume le secrétariat a presque triplé les deux premières années, passant de 6 à 17. Le Canada n’a pas tardé non plus à accéder au secrétariat et à la présidence du nouveau comité technique ISO/TC 155 (Nickel et alliages de nickel).
Autre signe de l’influence grandissante du Canada : l’adoption de ses normes nationales comme normes internationales.
Par exemple, le texte d’une norme ISO de 1983 sur le rendement des freins de scies à chaîne fut en grande partie tiré d’une norme canadienne. De même, l’expertise et les normes canadiennes en matière de piégeage non cruel d’animaux ont pesé lourd dans les travaux d’un comité ISO sur les pièges pour animaux créé en 1985.
En 1973, le Canada fut pour la première fois l’hôte d’une réunion d’un comité technique de l’ISO. Depuis, il a régulièrement accueilli ce genre de réunions, dont les deux plus notables furent l’assemblée générale de l’ISO tenue à Toronto en 1982 et l’assemblée générale annuelle de la CEI tenue à Montréal en 1985.
Au large des côtes canadiennes
À l’instar du voyageur qui rapporte chez lui de nouveaux produits et des aliments exotiques, le CCN a toujours tenté de lier entre elles ses activités à l’étranger et celles qu’il gère chez lui.
En témoignent les constants efforts déployés pour concilier ses travaux nationaux et internationaux d’élaboration de normes qui contribuent à permettre la circulation constante d’idées et la compatibilité des normes, et à assurer le déploiement de ses effectifs là où le besoin est le plus grand.
C’est en 1973 qu’il entreprit d’harmoniser les travaux de ses comités nationaux et internationaux d’élaboration de normes en établissant tout d’abord la liste des comités techniques œuvrant aux deux niveaux. Il élabora ensuite un processus d’harmonisation. Dès 1980, environ 25 pour cent des activités internationales de normalisation du Canada ont été harmonisés avec ses activités nationales.
Cet effort d’harmonisation perdit un peu de son allant dans les années 1980, mais fut relancé au début des années 1990 lorsque la CSA commença à inciter ses propres comités techniques à travailler en étroite collaboration avec les comités canadiens de la CEI. Cette coopération devint plus officielle en 1997, lorsqu’on planifia de combiner au sein d’un seul et même comité les travaux relatifs à la CSA et à la CEI.
Le CCN a aussi tenté de favoriser l’adoption par le Canada de certaines normes internationales, et l’on peut, en fait, considérer que c’est ce qui arriva lors de l’adoption du système métrique (SI), toute première Norme nationale du Canada. Ce n’est qu’un peu plus tard que les OEN commencèrent à adopter régulièrement certaines normes internationales pour les faire leurs. Toutefois, la plupart des nouvelles Normes nationales du Canada s’inspirent désormais des normes ISO ou CEI, si bien que près du quart des normes canadiennes sont à présent d’origine internationale.
Les normes les plus importantes pour l’économie canadienne n’ont pas toutes été tirées de l’ISO ou de la CEI. Beaucoup d’entre elles nous vinrent, en effet, des États-Unis. Dans les années 1960 et 1970, le Canada a même adopté ou adapté bon nombre de normes états-uniennes, surtout dans le domaine de l’industrie automobile. La nécessité d’harmoniser les normes des deux pays est encore plus grande depuis la conclusion de l’Accord de libre-échange entre le Canada et les États-Unis, devenu par la suite l’Accord de libre-échange nord-américain (ALENA) lorsque le Mexique s’en fit signataire. En 1983, l’ACNOR et l’organisme étatsunien American National Standards Institute (ANSI) ont conjointement publié la première norme Canada-États-Unis. D’autres normes binationales et même trinationales furent adoptées par la suite.
Services à bord
Dans les voyages au long cours, il faut être aux petits soins pour les passagers. Il en va de même pour les experts participant, à titre bénévole, aux travaux des comités d’élaboration des normes, des comités consultatifs et des groupes de travail ou font autrement partie intégrante du SNN.
Dès le début, le CCN a soigneusement fait en sorte que la composition de ses propres comités et de ceux des organismes d’élaboration de normes représente équitablement les intérêts en jeu. Il souhaitait en particulier donner le droit de parole aux consommateurs. L’un des premiers comités consultatifs créés par le Conseil s’occupait effectivement des intérêts des consommateurs.
Outre ce souci du consommateur, le CCN ne semble pas avoir fait, dans les premières années, d’effort particulier pour recruter et former les membres de ses comités, ni d’ailleurs pour récompenser ces derniers pour le travail accompli. Il semblait alors évidemment que les comités se débrouilleraient, à condition qu’on prévoie d’aider les membres participants à payer leurs dépenses.
C’est en décernant le prix Jean P. Carrière que le CCN manifestait le plus souvent sa reconnaissance pour contribution exceptionnelle aux travaux de normalisation. Créé en 1978, ce prix est remis en l’honneur de feu Monsieur Carrière, ancien président, qui a coordonné la création du CCN et l’établissement du Système national de normes.
Au cours des années 1990, on commença à s’inquiéter sérieusement de la composition inadéquate du SNN qui ne réflétait pas de la bonne façon les besoins des intéressés du domaine de la normalisation. Par exemple, les petites et moyennes entreprises, bien que désormais considérées comme des acteurs importants de l’économie nationale, étaient souvent sous-représentées au sein des comités d’élaboration des normes. La normalisation s’engageant sur de nouvelles voies, tels l’environnement et les problèmes de société comme la protection de la vie privée, et pour que soient valables les normes élaborées, il fallait recruter des experts.
Avec le vieillissement des personnes en place, il arrivait souvent que des collaborateurs bénévoles de longue date prennent leur retraite sans qu’on puisse les remplacer, faute de fonds. Toutes ces raisons incitèrent le CCN à élaborer un programme de recrutement, de formation et de soutien à l’intention de ceux et celles qui participent aux travaux d’élaboration des normes.
Les anecdotes
Quel plaisir que de pouvoir rapporter des longs voyages une foule d’anecdotes à raconter! Pour le CCN, toutefois, le partage d’information a toujours davantage été un devoir essentiel qu’une partie de plaisir. Dès le début, informer les Canadiens de l’existence des normes et de la normalisation était l’une de ses responsabilités majeures.
Pour célébrer le 20e anniversaire du CCN, Albert A. Tunis, ex-directeur de la Direction de l’éducation et de l’information, décrivit rétrospectivement, en ces termes, les années 1970 :
À cette époque, la question des normes était une affaire relativement privée, avec son propre langage, ses propres acronymes, ayant une signification particulière pour une communauté relativement petite composée de fabricants et d’un groupe restreint de fonctionnaires. Peu de renseignements étaient mis à la disposition du novice et, dans la plupart des cas, un profane consultant la documentation disponible trouvait cette dernière très difficile à comprendre.
Le CCN souhaitait que les choses changent. En 1973, il lança son programme de sensibilisation publique en publiant son premier dépliant intitulé Qu’est-ce que la normalisation? En janvier 1974, il publia le premier numéro de la revue d’actualités CONSENSUS, dans l’intention de favoriser l’échange d’information entre les personnes et organismes œuvrant dans le domaine de la normalisation. Suivit la production audiovisuelle avec le lancement, en 1977, de Des normes pour mieux vivre, un film couleur 16 mm de 14 minutes. Par la suite, et jusqu’aux réductions budgétaires fatales des années 1990, le CCN produisit une longue série de courts métrages, bandes vidéo et communiqués d’intérêt public destinés à la radio et à la télévision, dont beaucoup mettaient en vedette des employés de l’organisme.
Le CCN a expérimenté plusieurs autres méthodes, pas toujours efficaces, pour sensibiliser le public à la normalisation. Les séminaires publics organisés en marge des réunions du Conseil et n’étant pas tenus à Ottawa, par exemple, n’ont jamais eu l’heur d’attirer les foules. En revanche, Un guide sur les normes pour les artistes en herbe, livre à colorier pour enfants publié en 1979, fit fureur durant des années. Expositions, présentoirs et stands montrés lors de salons professionnels se sont aussi révélés un excellent moyen d’atteindre un public cible. Depuis le premier stand acheté à l’ISO, le CCN a constamment recours à ces moyens. Le présentoir qui a le plus contribué à faire valoir le CCN est sans doute celui qu’il a monté, en 1978 et 1979, dans le cadre de l’Exposition nationale canadienne de Toronto.
Pour sensibiliser la prochaine génération de représentants de l’industrie canadienne, le CCN a élaboré, dans les années 1980, divers documents pédagogiques à l’intention des collèges et des universités.
Le CCN a, en outre, voulu sensibiliser les enseignants en leur présentant un Programme de subvention à la recherche universitaire, conçu pour subventionner les recherches susceptibles d’améliorer les connaissances en matière de normalisation. La première de ces subventions fut accordée en 1984 à une chargée de cours d’Acadia University, pour lui permettre de créer un programme informatique facilitant l’utilisation des tailles normalisées de vêtements. Bien que ce dernier ait été touché quelques années plus tard par les mesures de réductions budgétaires, il aura au moins fait mouche dans ce cas-là : Linda Lusby, bénéficiaire de cette première subvention, participe depuis lors aux travaux du CCN, et est même devenue, en 1998, la présidente de son Conseil.
Le carnet de bord
En plus de promouvoir la sensibilisation du public aux normes, le CCN souhaitait que leurs usagers les connaissent mieux. Il lança donc, en 1977, son Service d’information sur les normes, aujourd’hui devenu le Service d’information et de recherche. Les Canadiens pouvaient s’y renseigner, sans frais par téléphone, sur les normes applicables à tel produit ou service, et sur l’endroit où se procurer les documents. Au cours de la même année, le CCN publia la première liste exhaustive des normes canadiennes.
Deux ans plus tard, on pouvait consulter en ligne la banque de données du CNRC qui donna naissance au répertoire. D’autre part, un répertoire des normes auxquelles renvoyaient certains textes législatifs fédéraux fut publié en 1980 et l’on peut à présent obtenir tous ces renseignements dans le site Web du CCN.
Le Service se constitua ensuite une bibliothèque. Il commença par rassembler toutes les normes canadiennes, auxquelles il ajouta les principales normes étrangères et internationales. Au début des années 1980, la collection comptait déjà plus de 300 000 documents, dont beaucoup sur microfilms ou microfiches. Aujourd’hui, le Centre de documentation technique comprend la collection de normes la plus exhaustive du Canada, et la plupart de ces documents sont disponibles sur CD-ROM ou accessibles en ligne.
Un grand nombre de demandes de renseignements faites auprès du Service d’information avaient trait aux normes et règlements de pays étrangers. Le CCN se révélait donc le lieu idéal pour établir le Point d’information canadien de l’Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce (GATT), qui fut créé en 1980 et devint, en 1994, le Point d’information OMC/ALENA après signature de l’Accord de libre-échange nord-américain, lors de la transition GATT-Organisation mondiale du commerce (OMC).
En 1998, le Point d’information mit sur pied Export Alerte!, premier service d’avis électronique dans le monde à informer des projets de modification des règlements relatifs aux produits de leurs destinataires.
Les normes constituent en soi un moyen efficace de diffuser de l’information. Au début, le CCN se contentait de laisser l’ACNOR assurer la publication des normes étrangères et internationales, mais en 1976 il prit en charge le service des ventes.
En 1984 déjà, le CCN concevait un service des ventes à sa façon. Il établit un guichet unique où les ventes ne se limiteraient pas aux normes étrangères et internationales, comme c’était le cas avant, mais incluraient les normes canadiennes. Seul l’ONGC consentit cependant à conclure à cette fin un accord de réciprocité. Les OEN ne firent de même qu’en 1995, au moment où le CCN renouvela sa proposition.
En 1998, le CCN conclut une entente pour céder son service des ventes (et la gestion du personnel concerné) au Centre canadien d’information globale.
Les échanges commerciaux
Il était clair, dès le départ, que le commerce international constituerait l’une des principales préoccupations du CCN. La décision d’élargir le rôle du Canada au sein de l’ISO et de la CEI avait principalement comme objectif d’assurer aux exportateurs canadiens l’accès aux marchés étrangers fidèles aux normes internationales.
On pressentait déjà, dans les années 1970, la vague de fond qu’allaient générer les accords commerciaux régionaux et internationaux. En 1973, le CCN et d’autres organismes de normalisation de la côte du Pacifique fondèrent le Pacific Area Standards Congress (PASC), première des nombreuses organisations créées pour permettre aux organismes de normalisation de se regrouper pour échanger de l’information.
Cette tendance s’est accrue dans les années 1980 et 1990, qui virent naître des accords commerciaux tels GATT/OMC, ALENA, et l’Union européenne. Ces derniers exigent des pays membres qu’ils harmonisent leurs normes, adoptent des normes internationales, et conçoivent des systèmes d’évaluation de la conformité accessibles aux commerçants étrangers comme à ceux du Canada.
Les organismes d’accréditation tels que le CCN entreprirent l’élaboration d’accords internationaux garantissant que le résultat de l’évaluation de la conformité réalisée dans un pays serait accepté par les clients et organismes de réglementation d’un autre. La création d’organisations régionales et internationales de normalisation et d’évaluation de la conformité qui en résulta apparaît au lecteur comme une véritable valse des sigles : la COPANT, l’IAF, l’ILAC, le PAC, l’APLAC, la CENA, l’IATCA, l’IAAC, le CANENA, et bien d’autres. Parallèlement, le gouvernement fédéral commença lui-même à élaborer certains accords requérant l’expertise du CCN.
Cette prolifération d’organisations et d’accords mit financièrement à rude épreuve le CCN, dont les ressources étaient limitées. L’organisme dut, en outre, subir au fil des ans de rigoureuses évaluations réalisées par divers organismes auxquels il était appelé à s’associer aux termes de certains de ces accords. Mais son travail n’aura pas été vain : au milieu des années 1990, un nombre croissant d’organismes de réglementation et d’accréditation étrangers œuvrant dans divers domaines reconnaissaient la compétence des organismes d’évaluation de la conformité accrédités par le CCN. Les exportateurs purent ainsi accéder plus facilement aux marchés étrangers.
Le cap sur des horizons inconnus
Même si la majeure partie du voyage s’est déroulée en eaux connues, le CCN a aussi piloté le SNN dans des mers jusque-là inexplorées. Au moment de la création du Conseil, la plupart des normes régissaient des questions purement techniques comme la composition des matériaux, les dimensions des composants et l’efficacité de l’assemblage; mais tout cela était appelé à changer!
En 1972, la CEI proposa d’établir un mécanisme d’évaluation de la qualité applicable aux composants électroniques. Ce mécanisme devait assurer la qualité – garantir la capacité du produit visé à se comporter conformément à ses spécifications – et établir un système international de reconnaissance des homologations. Bien que nul ne semblât alors s’en douter, cette idée allait révolutionner le monde de la normalisation.
L’année suivante, l’ACNOR publia une série de normes d’assurance de la qualité applicables aux centrales nucléaires. Dès l’année 1975, ces normes servirent de modèle pour élaborer la série Z299, un ensemble de normes génériques d’assurance de la qualité à l’usage des industries. Entre-temps, un comité spécial du CCN avait recommandé au Canada d’adopter une série de normes de systèmes d’assurance de la qualité.
L’idée d’établir de telles normes fit son chemin sur l’échiquier international. En 1979, l’ISO créa le Comité technique sur le management et l’assurance de la qualité (TC 176), dont le Canada devait assumer le secrétariat. Le CCN confia à son tour à l’ACNOR cette tâche en raison de sa grande expertise en ce domaine. Le comité TC 176 publia, en 1986, sa première norme terminologique et en 1987 sa première série de normes de systèmes de management de la qualité (ISO 9000).
Leur succès fut immédiat. Dès 1990, les chefs d’entreprise avaient commencé à enregistrer leur entreprise selon ces normes, dans le but avoué de convaincre leurs clients, au Canada comme à l’étranger, de la fiabilité de leurs produits. C’est en Europe que les normes furent le plus courues, à tel point qu’on se demanda si les enregistrements nord-américains y seraient acceptés. Pour qu’elles le soient à coup sûr, le CCN mit alors sur pied un programme d’accréditation à l’intention des organismes registraires de systèmes de management de la qualité.
Les trois premières accréditations du programme furent accordées en 1993. Depuis lors, le programme s’est élargi, d’autres industries ayant en effet élaboré leur propre prolongement d’ISO 9000. Le CCN est notamment devenu, en 1995, l’organisme d’accréditation agréé pour le système QS-9000 de l’industrie automobile, et a récemment établi un programme fondé sur ISO 9000 pour les fabricants de dispositifs médicaux.
ISO 9000 incitait donc les organismes de normalisation à partir en expédition dans des mers jusque-là inconnues. Plusieurs années après avoir entrepris ses travaux sur la qualité, l’ISO se pencha sur l’environnement, dont l’état suscitait l’inquiétude à l’échelle mondiale. Ces nouveaux travaux donnèrent naissance à ISO 14000, série de normes portant sur les systèmes de management environnemental.
Le CCN, toujours en tête de la flotte, assumait le secrétariat du comité et mit sur pied un programme d’accréditation.
Les organismes nationaux et internationaux de normalisation ont récemment commencé à explorer de nouveaux domaines, tels la protection de la vie privée et la santé et la sécurité au travail.
Vers d’autres cieux
Trente années, c’est long! Trop long sans doute pour pouvoir tout dire, dans ces quelques pages, des nombreux autres voyages entrepris par l’équipe du SNN et du CCN.
Nous n’avons pas assez de place pour évoquer, par exemple le rôle des normes dans la réforme réglementaire – une question que le CCN ne cesse, depuis 1975, de porter à l’attention des organismes de réglementation. Pas de place non plus pour parler de l’aide apportée par le CCN aux pays en développement, permettant à ces derniers d’établir leurs propres systèmes de normes, ni des changements réalisés à l’ISO et à la CEI au cours des pérégrinations de ces organisations.
Nous espérons toutefois avoir réussi à vous faire revivre les trente années de périples du CCN en vous laissant imaginer la destination probable de son prochain départ.
Souhaitons-lui bon vent!
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Cet article est paru pour la première fois dans le volume 33 de la revue CONSENSUS, 2000. L'information qu'il contient était exacte au moment de la publication mais n'a pas été mise à jour ni révisée depuis. Elle pourrait donc ne pas tenir compte de l'évolution récente du sujet traité. Si vous avez des questions au sujet du contenu de cet article, n'hésitez pas à communiquer avec le Conseil canadien des normes.
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