Navires : La « boîte noire » des temps modernes, une technologie canadienne
2004-10-14
Il y a dix ans de cela, le ferry Estonia s'abîmait en mer au large des côtes finlandaises, après avoir chaviré en Mer Baltique. Bilan de ce naufrage : plus de 850 morts.
Mais, contrairement aux avions, équipés d'une boîte noire, sur laquelle sont enregistrés tous les faits survenus avant un écrasement et dont le contenu est censé en faire comprendre les causes, l'Estonia, comme tous les autres navires de passagers et de charge de l'époque, n'était pas doté de la technologie équivalente.
Aujourd'hui, tous ces navires le sont, et cette technologie a pour nom : appareil VDR.
Le Canada, par le biais d'une société de Terre-Neuve, a joué un grand rôle dans la mise en place de ce dispositif et dans l'élaboration des normes internationales qui en régissent l'utilisation.
La société conceptrice de cette technologie est installée à St. John's. Du nom de Rutter Technologies Inc., nom inspiré de celui du journal de navigation munis duquel embarquaient les marins à chacune de leurs expéditions en mer. Cette société a été fondée en 1998 pour concevoir, fabriquer et commercialiser le VDR. Elle est depuis devenue le plus grand fournisseur du monde de ces dispositifs.
Le VDR de la société Rutter se compose de deux éléments : l'unité principale destinée à être installée à bord du navire – à l'origine, de la taille d'un réfrigérateur de bar, puis de celle d'une glacière à bière – recueille les renseignements sur le navire, dont sa position, sa vitesse, son itinéraire et son reproducteur d'images. Cet élément enregistre par ailleurs les communications radio, les conversations (sur ce que l'officier de pont voit au radar) et les ordres transmis entre le pont, la salle des machines et la barre du gouvernail.
Le second élément est un dispositif renforcé, appelé capsule, qui a la forme d'un barbecue. Pouvant être considérée comme la mémoire du navire, cette capsule prend place au-dessus du pont, et c'est dans cette mémoire qu'est stockée l'information transmise au navire. Si le navire coule, la capsule, jouant le rôle de boîte noire, est la partie qu'il faut récupérer pour pouvoir accéder à l'information ainsi stockée.
L'appareil VDR de Rutter est en outre accompagné d'un logiciel, qui extrait les données pour les télécharger dans un Ethernet, réseau local, pour pouvoir les lire sur un système multimédia comprenant des bandes images, par exemple le plan de navigation du navire.
Byron Dawe, Président cofondateur de Rutter Technologies, explique que l'appareil VDR conçu par sa société est, certes, utile en cas de catastrophe, mais qu'il sert plus souvent d'outil de gestion des incidents mineurs pouvant survenir, indiquant par exemple pourquoi le navire a heurté le quai ou offrant un aperçu de la navigabilité de ce dernier dans le cadre d'un programme de maintenance.
« Notre appareil VDR peut en outre servir de dispositif de sécurité, de préciser M. Dawe, ingénieur électricien en formation. »
« Ayant placé l'un de ces dispositifs dans le navire, on a accès à l'information liée à tout ce qui s'est passé à bord durant les 12 dernières heures. Certains paquebots de luxe dotés de notre appareil VDR, par exemple le Holland America, s'en servent pour enregistrer pour des raisons de gestion et de sécurité des croisières de 20 à 30 jours. »
Plus de 400 navires en sont équipés, et la société Rutter espère qu'il y en aura encore bien d'autres à présent que l'Organisation maritime internationale (OMI) exige que le soient, peu importe leur forme, tous les navires de passagers et tous les gros navires de charge qui parcourent les eaux internationales.
Tout comme dans la conception de l'appareil VDR de Rutter, M. Dawe a joué un rôle prépondérant dans l'élaboration par la Commission électrotechnique internationale (CEI), installée à Genève, en Suisse, des normes adoptées par l'OMI liées à cet appareil.
Appartenant au Comité d'études 80 de la CEI (CEI/TC 80), intitulé Matériels et systèmes de navigation et de radiocommunication maritimes, M. Dawe a participé aux travaux du Groupe de travail 11 sur les Enregistreurs de données de route de navire (WG 11), qui a élaboré la norme CEI 61996, publiée en juillet 2000, contenant l'ensemble des exigences liées aux appareils VDR en matière de performance.
Toutefois, la participation de M. Dawe aux travaux du WG 11 n'était pas assurée, de dire Pieter Leenhouts, Gestionnaire de cycle de vie, Système d'information de navigation intégré de la Garde côtière canadienne, qui a présidé, de 1998 à 2003, le Sous-comité canadien du Groupe d'études 80 de la CEI (SCC/CEI/TC 80). M. Leenhouts raconte qu'au moment où a été créé ce Groupe de travail, le Canada n'en a pas fait tout de suite partie, n'ayant au tout début au sein du Comité d'études que le statut d'observateur. Il explique qu'il n'a pas tardé à comprendre qu'il fallait que ce statut change.
« Rutter est à l'origine de la conception de cette technologie. Le fait que la Grande-Bretagne ait dominé au sein du Groupe de travail et tenté de faire élaborer une norme fondée sur les spécifications VDR d'une société britannique nous préoccupait grandement. Il nous fallait donc placer la barre plus haut et nous assurer la participation du Canada aux travaux de ce Groupe de travail! », de reprendre M. Leenhouts.
Afin de bien faire comprendre l'importance pour le Canada d'être représenté au sein du WG 11, M. Leenhouts a combiné les présentations de 45 agences canadiennes techniques et électroniques, privées et publiques. Il a ensuite pressenti le Conseil canadien des normes (CCN) – agent de liaison officiel du Canada auprès de la CEI – et réussi à s'assurer deux postes de membres votants au sein du Groupe d'études. L'un deux a été confié à Byron Dawe, l'autre à Mike Poole, qui auparavant appartenait au Bureau de la sécurité des transports du Canada.
Comme il était fort probable que les normes de VDR élaborées par la CEI constituent par la suite la base des lois et règlements internationaux de l'OMI, la participation du Canada à ce processus était devenue encore plus évidente.
Selon M. Leenhouts : « Une fois les lois et règlements bien établis, il est très difficile d'essayer d'y changer quelque chose. C'est pourquoi, il est impératif pour le Canada d'être représenté au sein de ces Comités au stade des travaux d'élaboration. »
La norme CEI 61996 ayant été élaborée, l'OMI exige à présent que tous les navires rouliers à passagers (c'est-à-dire les vaisseaux porteurs des navires à charge, tels que les ferries) et les navires à charge de 3 000 tonnes brutes ou plus, fabriqués après le 30 juin 2002, soient équipés d'un appareil VDR. Selon leur poids, ces navires de charge devront se conformer aux normes d'ici au 1er juillet 2010.
M. Dawe estime à 1 500 à 2 000 le nombre de navires dotés de l'appareil VDR. Il est convaincu, toutefois, qu'un nombre au moins équivalent de navires devra être retiré pour qu'on puisse d'ici à la fin de la décennie y installer l'appareil. Sans compter l'installation du VDR sur les 1 500 nouveaux navires construits chaque année dans le monde – une opportunité unique pour Rutter. La société espère détenir bientôt 30 pour cent des parts du marché, une amélioration pour elle qui en détient actuellement de 20 à 25 pour cent.
Byron Dawe explique que le marché des VDR ne fait que commencer à s'ouvrir. Il ajoute qu'il pourrait croître encore davantage si la technologie du VDR devenait une exigence dans tous les pays qui réglementent le trafic maritime dans leurs eaux territoriales, le Canada compris.
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Cet article est paru pour la première fois dans le volume 31 de la revue CONSENSUS, 2004. L'information qu'il contient était exacte au moment de la publication mais n'a pas été mise à jour ni révisée depuis. Elle pourrait donc ne pas tenir compte de l'évolution récente du sujet traité. Si vous avez des questions au sujet du contenu de cet article, n'hésitez pas à communiquer avec le Conseil canadien des normes.
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