Protéger nos protecteurs
2005-10-18
Un pompier n’oublie jamais son premier incendie. Pour Roy Hollet, cela s’est passé dans l’atelier de peinture d’une quincaillerie. Chaque fois qu’un pot éclatait, les flammes prenaient les couleurs de la peinture.
« C’est à ce moment-là que j’ai compris pourquoi il fallait se baisser. Si on restait debout, le viseur semblait se déformer sous l’effet de la chaleur », de dire le chef adjoint du service d’incendie de Halifax Regional Fire and Emergency.
La vie d’un pompier est synonyme de risques de toutes sortes : sauvetage de personnes, déversement de produits chimiques et contamination, catastrophes naturelles et fuites de monoxyde de carbone, sans parler de l’effondrement des immeubles et du stress dû au travail dans des conditions où les températures peuvent atteindre des centaines de degrés, alors qu’on porte une tenue de 50 livres. Puis, il y a le risque de s’exposer trop longtemps aux flammes et de faire augmenter la chaleur métabolique de son corps.
« Comme on dit, on y cuit comme du rosbif. Même sorti du four, il continue à cuire », d’affirmer David Ross, officier supérieur chargé de la santé et de la sécurité aux Toronto Fire Services. Jadis, un pompier savait qu’il était temps de se retirer, lorsque la douleur qu’il ressentait dans les oreilles devenait insupportable.
Aujourd’hui, les oreilles sont protégées par une cagoule, et une armée de scientifiques, de chercheurs et d’organismes œuvrent de concert pour réduire au maximum les risques auxquels le pompier est exposé.
Les normes jouent un rôle essentiel dans ce processus et touchent chaque aspect et chaque protocole du service d’incendie. Et même si le grand public ignore souvent le rôle d’une norme dans la protection de la société, les pompiers, eux, en sont tout à fait conscients, car ils ont besoin de pouvoir placer la même confiance absolue et inconditionnelle dans leur tenue que elle qu’ils ont en leurs collègues.
« La plupart des pompiers ne pensent même pas à leur tenue, car ils savent qu’elle a été testée, explique M. Hollet. Même si l’on a recours à un processus d’appel d’offres, nous achetons la meilleure tenue qui soit pour nos pompiers. Autrement dit, lorsqu’il s’agit d’équipement de protection individuelle nous ne cherchons pas à faire des économies. Nous voulons que le pompier se concentre sur sa tâche et qu’il n’ait pas à se demander si sa veste va se déchirer, s’il va supporter la chaleur ou si son appareil respiratoire autonome (ARA) va fonctionner. Cela devrait être le moindre de ses soucis. Il devrait s’y sentir tellement à l’aise qu’il ne devrait même pas y penser », dit-il.
Les normes permettent aussi aux pompiers d’être conscients des limites de leur tenue, telles que la température maximale que cette dernière peut supporter avant de commencer à brûler. Si un pompier se trouve pris dans un embrasement éclair, sa tenu devrait lui offrir une protection durant 5 à 10 secondes, un délai que l’on espère suffisant pour lui permettre de sortir. La tenue de pompier comprend l’ARA et la tenue de feu proprement dite, c’est-à-dire les bottes, le pantalon de feu, la veste de feu, un casque, une cagoule et des gants. Les bottes sont munies d’une pointe et de cambrions en acier afin d’éviter les blessures dues aux perforations et aux chutes d’objets. Le pantalon et la veste de feu sont faits de trois couches distinctes. La couche externe est, dans une certaine mesure, ignifuge; ainsi, elle ne continuera pas à brûler.
« D’autres éléments plus précis sont mentionnés dans la norme, tels que la chaleur que la veste peut supporter avant de brûler », de reprendre M. Ross. La couche intermédiaire est faite de GORE-TEXMC et sert de barrière contre l’humidité; elle permet à la transpiration de s’échapper tout en restant imperméable à l’humidité externe. La couche interne est une doublure thermique qui protège le pompier de la chaleur. « Les spécifications sont très rigoureuses concernant les tissus utilisés, les coutures, etc. », d’ajouter M. Ross.
Lorsqu’ils accomplissent leur devoir, les pompiers doivent pour assurer leur protection personnelle accepter de subir certaines tensions cardiovasculaires et thermiques. On pourrait fabriquer une tenue qui résisterait beaucoup mieux à la chaleur ou aux flammes, mais elle serait beaucoup plus lourde et rendrait plus difficiles les gestes des pompiers. C’est de ce genre de facteurs dont on tient compte lorsqu’on élabore une norme de produit.
Alors que les grands services d’incendie urbains disposent parfois de sections entières de formation et de sensibilisation, nombreuses sont les petites villes qui dépendent de services d’incendie bénévoles. Selon Christian Tardif, chef d’équipe de normalisation du Bureau de normalisation du Québec (BNQ), ce type d’organisme, plus petit, dépend tout particulièrement des pouvoirs que leur accorde la norme.
À l’instar de ses homologues, tels que l’Association canadienne de normalisation (CSA), l’Office des normes générales du Canada (ONGC) et les Laboratoires des assureurs du Canada (ULC), le BNQ s’est donné pour tâche d’élaborer des normes qui répondent aux besoins exprimés par les Canadiens tout en évitant de refaire le travail des autres organismes.
« Dans un monde parfait, on aurait une seule norme pour toute l’Amérique du Nord », de dire M. Tardif. Comme le BNQ et l’ONGC ont des normes similaires pour l’équipement de protection des pompiers, le BNQ éliminera donc progressivement dès janvier 2006 ses quatre normes en la matière.
« L’ONGC possède une norme sur les vêtements de protection (CAN/CGSB-155.1-2001), nous n’avons donc plus besoin de conserver une norme différente ici, au Québec », d’expliquer M. Tardif. Les normes de l’ONGC sont parfaitement harmonisées avec celles de la National Fire Protection Association (NFPA), un organisme américain de normalisation qui a élaboré plus de 300 codes et normes concernant le bâtiment, les processus, les services, la conception et l’installation.
Ses normes n’établissent pas seulement les exigences de rendement et de conception pour la fabrication de vêtements et d’équipement de protection, mais elles recommandent également des directives pour les procédures opérationnelles standard d’un service d’incendie. Ensemble, ces normes permettent d’assurer que la tenue donne le rendement attendu, de sa conception jusqu’à sa mise hors service.
Même si les normes de l’ONGC et de la NFPA sont très proches, Philip Miller, spécialiste des normes à l’ONGC, croit qu’il est utile que le Canada ait ses propres normes car les laboratoires canadiens qui effectuent les tests les connaissent mieux. Par ailleurs, différents pays ont différentes procédures opérationnelles et donc différents besoins qui nécessitent des normes différentes.
En plus des normes sur la tenue de protection des pompiers, l’ONGC a élaboré une norme sur le gilet de protection balistique (CAN/CGSB-179.1-2001). C’est la pièce la plus importante de la tenue de protection d’un policier, comme l’a appris sur le terrain Dan Brisson, agent de police à la Police provinciale del’Ontario. Le 10 mars 2001, lors d’un contrôle routinier, unsuspect muni d’une arme de poing de calibre 45 lui a tiré directement dans le dos, à trois pouces du col de son gilet pare-balles. Ce dernier a accompli sa mission ce jour-là en empêchant la balled’atteindre la colonne vertébrale. « J’ai confiance dans mon gilet, particulièrement après ce qui m’est arrivé, dit-il. Certains policiers ont eu la vie sauve, même dans des accidents de voiture, parce qu’ils portaient ce genre de gilet. »
Les fabricants dépensent des milliers de dollars chaque année pour effectuer des tests et des recherches sur leurs produits. La certification accordée par un organisme de certification de produits accrédité permet aux fabricants d’être reconnus par les acheteurs des secteurs public et privé comme étant des fournisseurs engagés envers la qualité et la sécurité.
C’est la preuve que le fabricant s’est conformé aux exigences de performance, de sécurité ou de qualité d’une norme reconnue sur le plan national ou international. Le processus comprend une inspection des locaux et une vérification des essais sur le produit. On attribue un numéro d’homologation unique à un produit qui répond aux critères requis. Ce numéro et la marque de certification sont inscrits sur l’étiquette du vêtement. La description du fournisseur, accompagnée de la liste de ses produits et services, est ensuite ostée en ligne sur la liste des produits certifiés, qui est accessible aux acheteurs, au gouvernement, aux sociétés, aux détaillants et au public.
La société Starfield Lion, de Toronto, sait qu’il est important de faire certifier ses produits par un organisme accrédité. Elle dépense de 60 000 $ à 80 000 $ par année dans les tests correspondant aux différents critères et fabrique des tenues de protection de pompier conformes à cinq normes canadiennes et américaines différentes.
« Il est important que le produit vendu soit fabriqué selon les normes et qu’il soit apprécié pour cette raison. Les fabricants des matériaux et du produit final dépensent beaucoup d’argent dans la conception. Il est important que le fabricant utilise des matériaux reconnus. Le pompier a assez à faire quand il combat un incendie pour ne pas avoir à se soucier de la tenue qu’on lui fait porter », estime Loren Lori, directeur général de Starfield Lion.
Lorsque son entreprise achète les tissus pour fabriquer des tenues de feu, l’uniformité de ces derniers est, selon M. Lori, un facteur important. Par ailleurs, comme les usines de textiles nordaméricaines répondent aux mêmes normes que celles utilisées par la Starfield Lion dans la fabrication, il est sûr que la proportion de NomexMC, de KevlarMC et de fibres de carbone pour la décharge statique sera la même. Les tissus en provenance des usines de textiles étrangères ne respectent pas les mêmes normes.
« Ils peuvent porter la marque NomexMC, mais une certaine incertitude subsiste, dit M. Lori. Est-ce du NomexMC à 100 %? Ont-ils été soumis à des tests et respectent-ils les normes? Car tout ce que vous savez quand vous les achetez, c’est qu’ils portent la marque NomexMC. C’est comme quand on achète du fromage. Quel est le taux de matières grasses et des autres composants? On ne peut toujours pas le savoir avec certitude. Sauf qu’on ne badine pas avec les tissus pour tenues de feu. »
Revision Eyewear Ltd., établie à Montréal et à Williston, dans le Vermont, est une autre société qui reconnaît l’importance des normes. Elle fabrique des lunettes de protection balistique, notamment une paire de lunettes de sécurité qui peuvent résister à un coup de feu tiré à une distance de 16 pieds (cinq mètres).
Parmi ses clients, on trouve les Forces canadiennes, la Gendarmerie royale du Canada (GRC), la Police provinciale de l’Ontario et différents services de sûreté d’un bout à l’autre du pays.
« Quand nous avons décidé de nous lancer dans ce secteur, le domaine militaire, il était indispensable non seulement d’adopterles normes en soi, mais aussi de croire en leur importance et de comprendre que la meilleure façon de faire en sorte que nos produits soient les meilleurs possibles est de constamment respecter les normes et de les comprendre », d’affirmer Jonathan Blanshay, PDG de l’entreprise.
Les lunettes fabriquées par cette dernière ont été soumises à 14 tests différents afin d’en valider la qualité, y compris à des tests de résistance au choc, à l’abrasion et aux flammes. « Je pense que ce que les normes font, en fin de compte, c’est obliger les entreprises à prendre une décision : investir dans la qualité, le développement et les tests, ou dire : « non, ce qui compte, c’est la mode, le style, les couleurs etl’apparence ».
En général on révise les normes tous les cinq ans pour s’assurer qu’elles demeurent utiles et pertinentes. Tant que les fabricants, les scientifiques et les organismes professionnels du monde entier travailleront à l’amélioration de la tenue de protection des pompiers et des autres intervenants de première ligne, les normes continueront à évoluer.
-30-
Cet article est paru pour la première fois dans le volume 32 de la revue CONSENSUS, 2005. L'information qu'il contient était exacte au moment de la publication mais n'a pas été mise à jour ni révisée depuis. Elle pourrait donc ne pas tenir compte de l'évolution récente du sujet traité. Si vous avez des questions au sujet du contenu de cet article, n'hésitez pas à communiquer avec le Conseil canadien des normes.
Retour