Sécurité et accessibilité : Plus qu'un jeu d'enfant
2007-10-19
Lorsque la mère d'une fillette de cinq ans clouée dans un fauteuil roulant a emmené cette dernière à un terrain de jeux à Edmonton, en Alberta, la première réaction de celle-ci a été de dire : « Je ne peux pas jouer ici. »
Ce que la fillette ignorait, c'est qu'elle se trouvait en fait devant une aire de jeux accessible, l'une de plusieurs aménagées en vertu d'une politique municipale de la ville d'Edmonton. Devant la réticence de sa fille, la mère a répondu : « Oui, tu le peux. Cette aire de jeux a été conçue pour toi. »
Kim Sanderson travaille à la section Recherche et Innovation, Services communautaires de la ville d'Edmonton. C'est avec fierté qu'il raconte cette histoire. Ses collègues et lui y sont pour beaucoup dans la décision de la ville de rendre toutes les aires de jeux accessibles aux enfants handicapés.
« [Edmonton] l'a prévu dans sa politique, ce qui fait que toutes les aires doivent respecter un code d'accessibilité », de dire M. Sanderson – une première du genre au Canada.
M. Sanderson n'oubliera pas de sitôt la reconnaissance témoignée par la mère de la fillette qui utilise aujourd'hui régulièrement les aires de jeux accessibles d'Edmonton. Elle lui a dit : « Vous n'avez pas idée de ce que cela signifie pour moi en tant que parent. » M. Sanderson travaille à présent avec elle, dans la ville natale de cette dernière de Beaverlodge, en Alberta, une petite municipalité de moins de 2 500 habitants, afin que les aires de jeux accessibles deviennent là aussi une réalité.
Persuader la collectivité de rendre accessibles toutes les aires de jeux publiques n'a pas été facile. Au début, lorsqu'ils ont proposé d'étendre le concept d'accessibilité à l'équipement des aires de jeux publiques, M. Sanderson et ses collègues ont rencontré une certaine résistance.
« On ne considérait pas cela comme une priorité », explique M. Sanderson. « Il y avait beaucoup d'idées fausses. Certains s'imaginaient que l'aménagement d'installations accessibles exigerait beaucoup trop de dépenses supplémentaires, d'autres croyaient que la valeur ludique s'en trouverait diminuée. »
Depuis lors, à Edmonton, l'accessibilité est une idée qui a beaucoup progressé. En janvier 2008, il y aura deux ans que la ville a adopté une politique d'intégration des besoins spéciaux des enfants handicapés dans la conception de chaque terrain de jeux, nouveau et amélioré.
Au commencement, la ville d'Edmonton s'est inspirée dans une large mesure d'une politique américaine similaire pour établir sa politique sur l'accessibilité des aires de jeux. Puis, elle a aligné son code sur une norme élaborée par un comité technique de l'Association canadienne de normalisation (CSA). M. Sanderson a d'ailleurs participé aux travaux du comité qui a rédigé cette norme, intitulée Aires et équipement de jeu (CAN/CSA-Z614).
Parue pour la première fois en 1990, cette norme a été approuvée en 1998 par le Conseil canadien des normes comme étant la norme nationale sur la sécurité des aires de jeux.
En 2007, la CSA en a publié la quatrième édition, qui comprend une annexe informative sur la conception d'aires de jeux plus faciles d'accès tant pour les enfants que pour les prestataires de soins ayant une incapacité et s'occupant d'enfants non handicapés. La norme concerne les enfants de 18 mois à 12 ans et contient des recommandations relatives aux terrains de jeux publics tels que ceux aménagés dans les garderies, les écoles et les parcs.
Selon Rebecca Nesdale-Tucker, gestionnaire des politiques publiques et de la défense des intérêts chez SécuriJeunes Canada, si les directives en matière d'incapacités sont importantes, ce n'est pas en raison des données selon lesquelles les enfants handicapés risqueraient nécessairement plus que les autres de subir des blessures dans les aires de jeux, mais plutôt parce que ces aires devraient être attrayantes pour tous les enfants. « Nous voulons faire en sorte que tout le monde ait non seulement un endroit où jouer, mais aussi que cet endroit soit sûr afin de prévenir de nouveaux handicaps », dit-elle.
D'après un rapport intitulé L'incapacité au Canada : Un profil en 2001, financé par Ressources humaines et Développement social Canada et réalisé par Statistique Canada, la majorité des enfants handicapés sont d'âge scolaire, c'est-à-dire qu'ils ont entre 5 et 14 ans. Autrement dit, 154 720 enfants d'âge scolaire au Canada – soit 4 pour cent des enfants de ce groupe d'âge – ont une incapacité.
Un enfant handicapé qui souhaite jouer dans une aire de jeux inaccessible est confronté à plusieurs obstacles. Si l'équipement de jeu est placé dans une « mer de sable », pour reprendre les termes de M. Sanderson, un enfant en fauteuil roulant aura beaucoup de mal à tout juste l'atteindre. M. Sanderson explique que même si les rampes sont reliées à l'équipement de jeu, cet enfant ne pourra utiliser qu'une partie de l'équipement. Il ne pourra peut-être atteindre que la première plate-forme, qui est habituellement censée servir uniquement de surface de transition pour passer aux paliers suivants de l'équipement et qui ne comporte en fait aucun élément ludique. Comme les principaux éléments ludiques sont la plupart du temps situés aux paliers supérieurs, les enfants handicapés sont souvent contraints de regarder les autres s'amuser, au lieu de jouer eux-mêmes.
« Les enfants savent quand ils sont réellement inclus dans les jeux et quand ils ne le sont pas, dit M. Sanderson. Le plus grand problème, c'est qu'ils ne peuvent pas être au cœur de l'action. Ils ne peuvent pas avoir d'interactions avec leurs amis et sont obligés de rester sur la touche. »
Le sens qu'entend donner le comité technique au terme « accessibilité » ne se limite pas aux rampes habituelles. Les lignes directrices contenues dans l'annexe proposent non seulement l'ajout d'éléments accessibles particuliers, mais elles encouragent aussi et surtout la conception d'éléments favorisant l'interaction et l'établissement de relations sociales entre tous les enfants. Une aire de jeux, par exemple, où les rampes et autres éléments accessibles seraient intégrés à une composante de la structure de jeu ou éloignés des autres éléments ludiques, ne serait pas considérée comme respectant les critères d'accessibilité.
L'annexe indique également le pourcentage minimum d'éléments accessibles qui doivent être en place pour qu'une aire de jeux soit considérée comme étant accessible.
« Il ne suffit pas d'intégrer quelques éléments pour pouvoir dire qu'une aire de jeu est accessible, explique M. Sanderson. Il faut satisfaire à certaines exigences. C'est ce qui fait la force de ce document. »
Il est important que l'aire de jeux comporte une surface de protection lisse, un tapis en caoutchouc par exemple, pour amortir les chocs et faciliter la mobilité. Aménager une surface accessible, c'est aussi prendre en compte la hauteur des pentes, s'arranger pour que les points d'entrée et de sortie du parc soient d'accès facile et que les personnes en fauteuil roulant aient amplement d'espace de manœuvre.
Une autre ligne directrice importante propose de minimiser la hauteur des systèmes de transfert à l'intérieur de la structure de jeu. Ces systèmes consistent habituellement en une plateforme et des escaliers qui donnent accès aux autres composantes de l'équipement. Ainsi, un enfant en fauteuil roulant devrait quitter son fauteuil en se soulevant pour passer d'un palier à l'autre et à d'autres parties de l'équipement. L'annexe propose de réduire au minimum la hauteur des systèmes de transfert et de prévoir des aides supplémentaires telles que des boucles de corde, des barres ou des anneaux pour faciliter les déplacements de l'enfant d'un palier à l'autre de l'équipement.
Selon Nicki Islic, chef de produit, Soins de santé et sécurité communautaire, à la CSA, les différences entre une aire de jeux accessible et une qui ne l'est pas devraient être subtiles. « Nous voulons que tous les enfants souhaitent et puissent utiliser les mêmes aires de jeux sans qu'il y ait de différences évidentes entre elles », affirme-t-elle.
Christine Simpson est chef du service de la sécurité des produits de consommation à Santé Canada et présidente du comité technique. D'après elle, malgré l'application généralisée de la norme sur la sûreté des aires de jeux, les blessures demeurent inévitables. « Les enfants étant ce qu'ils sont, nous savons qu'ils vont essayer de sauter par-dessus les fentes, dit-elle. Ils essaient d'imiter leurs grands frères et leurs grandes sœurs en faisant des choses qu'ils sont cependant physiquement incapables de faire. » Elle ajoute que le but de la norme est d'éliminer entièrement chez les enfants, ou à tout le moins de réduire, les blessures débilitantes et susceptibles de mettre leur vie en danger.
Mme Nesdale-Tucker invoque des données récentes qui établissent un lien entre la norme sur les aires de jeux et la diminution de la gravité des blessures. Elle prévoit que ces données inciteront les gens à appliquer la norme CAN/CSA-Z614.
« Cette situation est avantageuse tant pour les parents que pour la collectivité et le système de soins de santé », dit-elle.
Si les coûts peuvent parfois être perçus comme un obstacle à long terme, la conception et l'aménagement d'un terrain de jeux accessible pourraient en fait présenter un bon rapport coûtefficacité.
« L'intégration dans les aires de jeux de caractéristiques d'accessibilité coûte habituellement moins cher au stade de la conception et du développement, dit Mme Islic. Réaménager une aire de jeux pour la rendre accessible après coup risque de coûter plus cher. »
M. Sanderson affirme que le respect d'une directive peut entraîner des dépenses supplémentaires de l'ordre de 4 à 10 pour cent. Selon lui, il est toutefois possible de concevoir une aire de jeux accessible tout en restant dans les limites d'un budget.
« Les avantages valent largement les dépenses engagées », de dire M. Sanderson. « Ce n'est même pas forcément une question de choix. Personne, par exemple, ne voudrait rendre certaines installations sanitaires accessibles et pas d'autres. On s'arrangerait plutôt pour qu'elles le soient toutes. Nous voulons
étendre ce droit d'accès à nos enfants. »
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Cet article est paru pour la première fois dans le volume 34 de la revue CONSENSUS, 2007. L'information qu'il contient était exacte au moment de la publication mais n'a pas été mise à jour ni révisée depuis. Elle pourrait donc ne pas tenir compte de l'évolution récente du sujet traité. Si vous avez des questions au sujet du contenu de cet article, n'hésitez pas à communiquer avec le Conseil canadien des normes.
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